VALEUR ACTIONNARIALE : CREATION OU REPARTITION DE RICHESSE ?

 

BESSIRE Dominique

Janvier 1998

 

Résumé : L'application de la méthode des comptes de surplus au concept d'EVA (Economic Value Added), pivot d'une des multiples approches fondées sur la valeur actionnariale, vise à expliciter la relation entre création et répartition de richesse, relation que l'usage incontrôlé de l'expression " création de valeur " tend à occulter.

Abstract : Applying the surplus method to the concept of EVA (Economic Value Added), key measure for one of the numerous approaches based on shareholder value, aims to make clear the relation between creation and distribution of wealth, a relation which is occulted by the uncontrolled use of the expression " creation of value ".

 

 

Introduction

 

La vogue que suscite aujourd'hui le concept de valeur actionnariale traduit le souci qu'ont théoriciens et praticiens d'intégrer de façon plus rigoureuse stratégie et finance.

L'utilisation qui est faite de ce concept soulève de nombreuses questions pratiques (évaluation du montant des capitaux investis et détermination du coût moyen pondéré du capital par exemple) et théoriques (définition d'une structure optimale de financement en particulier). Leur examen dépasserait le cadre d'une communication ; notre ambition se limite ici à tenter d'élucider, au moins partiellement, le glissement sémantique qui, partant de la formulation "maximisation de la richesse des actionnaires", conduit à retenir comme équivalente l'expression "création de valeur actionnariale", voire "création de valeur".

Cette substitution d'une expression à une autre résulte, selon nous, d'une double confusion -au sens premier du terme- d'une part entre création et répartition de richesse, d'autre part entre richesse et valeur. Le second terme de la problématique ainsi définie appelle une réflexion épistémologique. La présente communication porte sur le premier terme.

Pour expliciter le lien entre création et répartition de richesse, diverses voies étaient envisageables. Nous avons privilégié une démarche instrumentale en appliquant la méthode des surplus à une des approches fondées sur la valeur actionnariale, la méthode EVA, développée par Stern Stewart and Co (Stewart, 1991).

Les mécanismes qui sous-tendent ces différentes approches seront brièvement rappelés (section 1) avant une présentation succincte des instruments choisis pour mener l'analyse (section 2). La formalisation de la relation entre création et répartition de richesse sera illustrée par un exemple numérique (section 3).

 

1. LA VALEUR ACTIONNARIALE, UNE AUTRE APPROCHE DU LIEN ENTRE STRATEGIE ET FINANCE

 

L'utilisation du concept de "valeur actionnariale" s'inscrit dans un paradigme qui vise à intégrer dans l'analyse stratégique les apports de la théorie financière néo-classique.

 

1.1. Un paradigme stratégique fondé sur la rationalité économique

 

Pour structurer le champ stratégique, J.-C. Mathé (1995, p. 39) retient trois types de relations (entre l'entreprise et son environnement concurrentiel, entre le comportement stratégique et l'organisation, et entre ce comportement et le financement) et regroupe les différentes contributions qui ont participé à l'analyse de ces relations en trois paradigmes, reposant chacun sur une conception particulière de la rationalité stratégique (rationalité concurrentielle, rationalité organisationnelle et rationalité économique).

Les méthodes fondées sur la valeur actionnariale s'inscrivent dans ce dernier paradigme. Elles recourent aux hypothèses et aux raisonnements de la théorie économique et financière néo-classique : les marchés financiers sont supposés concurrentiels et efficients ; ils sont dominés par des agents rationnels qui cherchent à maximiser la rentabilité de leur investissement sous contrainte de risque. Dans le cadre ainsi défini, la maximisation de la richesse des actionnaires est l'objectif assigné à l'analyse stratégique.

 

1.2. Des méthodes d'évaluation inspirées par la théorie financière néo-classique

 

Si les approches fondées sur la valeur actionnariale sont multiples, toutes sont fondées sur le théorème du capital-valeur formulé par I. Fisher (1930) qui s'énonce de la manière suivante : "la valeur de tout bien de capital est égale à la somme des valeurs actualisées des revenus monétaires que la détention et la mise en uvre de ce bien de capital permettent de réaliser" (Cobbaut, 1992, p. 41).

Pour décliner ce principe dans l'analyse stratégique, les différentes variantes, à des degrés divers et de façon plus ou moins explicite, se réfèrent à la formulation proposée par M.H. Miller et F. Modigliani (1961, 1966) qui décomposent ces revenus monétaires en trois éléments :

- la rente perpétuelle dégagée par les actifs existant au moment de l'évaluation,

- les économies futures d'impôts générées par l'endettement grâce à la déductibilité des

charges financières dans le résultat imposable,

- les revenus futurs dégagés par de nouveaux investissements.

Le taux d'actualisation utilisé est le coût d'opportunité du capital. Il est obtenu en faisant la moyenne pondérée des coûts de toutes les sources de financement. Le coût des fonds propres est, dans la pratique, évalué dans la plupart des cas par référence au MEDAF (modèle d'évaluation des actifs financiers, Sharpe, 1964 et Lintner, 1965) ou à une forme "aménagée" du MEDAF, même si certains cabinets font référence de manière incidente au MEA (modèle d'évaluation par arbitrage, Ross, 1976).

 

En pratique, les différentes variantes des méthodes fondées sur la valeur actionnariale mettent l'accent sur la comparaison entre le rendement des capitaux investis et leur coût d'opportunité, que ce soit sous forme d'un rapport (Strategic Planning Associates, par exemple) ou d'une différence (Marakon Associates et Stern Stewart and Co notamment).

 

1.3. Une approche sous-tendue par l'hypothèse d'optimalité du système concurrentiel

 

Selon T.E. Copeland, coauteur avec T. Koller et J. Murrin d'un des ouvrages de référence sur l'utilisation stratégique de la valeur actionnariale (1991), "en tentant de maximiser la valeur de leur propre part, les actionnaires maximisent la valeur de tous les autres" (1995, p. 62). Il précise un peu plus loin (p. 63) : "il existe entre la productivité et la maximisation de la valeur pour l'actionnaire un lien si fort qu'il ne peut être ignoré. Si l'on parvient à une production (output) supérieure avec une consommation (input) moindre, la valeur résiduelle -la valeur pour l'actionnaire- est plus grande. Mais quand une société est gagnante dans son secteur, tous ses partenaires, y compris ses salariés, finissent par en profiter".

L'hypothèse d'optimalité du système concurrentiel sous-jacente aux propos de T.E. Copeland est un débat majeur de la science économique, même au sein de l'école néo-classique. Cette hypothèse est implicitement contestée par ceux des théoriciens des organisations qui conçoivent l'entreprise comme un système conflictuel socio-politique soumis à des contraintes économiques et rejettent "l'idée d'un objectif supérieur, servant de médiation au conflit entre les parties, ce dernier ne pouvant être stable et signifiant pour tous" (Thuderoz, 1997, p. 75).

Il n'entre pas dans notre propos de discuter du bien-fondé de cette hypothèse, notre objectif étant plus modestement de tenter d'expliciter la relation entre amélioration de la productivité globale et augmentation du profit. Les quelques exemples énumérés ci-dessous semblent en effet témoigner de l'absence de lien mécanique entre ces deux concepts.

Une entreprise en situation de monopole ou qui a réussi à conclure une entente avec ses concurrents dans le cadre d'un marché oligopolistique, peut améliorer son profit sans augmenter sa productivité. Il suffit pour cela qu'elle relève ses prix de vente. La maximisation de la richesse des actionnaires se sera traduite par un appauvrissement des clients. Dans les cas les plus extrêmes, la productivité globale peut même s'être dégradée : si l'entreprise se trouve en position d'imposer ses tarifs, la maximisation de la richesse des actionnaires sera assurée grâce à l'augmentation du profit, tandis que les clients, et avec eux l'ensemble de la collectivité, se seront appauvris.

Inversement, une entreprise dominée par ses partenaires, par exemple un sous-traitant en position de faiblesse par rapport à son donneur d'ordre, peut régulièrement augmenter sa productivité et voir sa rentabilité stagner, voire diminuer, si les gains de productivité sont plus que compensés par la réduction de ses prix de vente.

 

Pour aller au-delà de ces quelques observations, il était indispensable de passer par une formalisation. La section suivante présente succinctement les instruments mis en uvre dans ce but.

 

2. DEUX APPROCHES DE LA "CREATION DE RICHESSE" : LA METHODE EVA ET LA METHODE DES COMPTES DE SURPLUS

 

La méthode des comptes de surplus, parce qu'elle permet précisément d'expliciter de façon générale le lien entre évolution de la productivité globale et variation du profit, fournit l'instrument nécessaire à l'analyse. La méthode EVA, une des variantes les plus populaires des méthodes fondées sur la valeur actionnariale, a été choisie comme terrain d'application.

 

2.1. La méthode EVA : la notion de profit "économique"

 

Parmi les multiples variantes aujourd'hui proposées, la méthode EVA a été retenue, principalement parce qu'elle est une des variantes les mieux connues. Elle a été notamment popularisée, aux Etats-Unis, par les classements d'entreprises publiés dans Fortune et, en France, par ceux donnés dans L'Expansion.

 

2.1.1. Le principe général

 

Dans le modèle utilisé par Stern Stewart and Co, le profit "économique" est retenu comme indicateur de la création de valeur. Lorsqu'il est positif, l'entreprise est considérée comme créatrice de valeur; dans le cas contraire, elle est censée subir une destruction de valeur.

 

 

2.1.2. La démarche de calcul

 

L'EVA est identifiée au profit économique. Elle est égale à la différence, exprimée en valeur absolue, entre le rendement des capitaux investis et la rémunération exigée par les apporteurs de capitaux (capitaux propres et dettes financières).

Les capitaux investis correspondent aux moyens en capital fixe et en capital circulant nécessaires pour assurer la continuité de l'entreprise (en première approximation : immobilisations et besoin en fonds de roulement). La mise en uvre de ces capitaux investis (CI) permet de dégager un taux de rendement (r), avant prise en compte de la rémunération des bailleurs de fonds. En contrepartie, il induit un coût de financement (cmpc).

L'EVA peut alors être exprimée sous la forme :

 

EVA = (r - cmpc) x CI

 

Pour effectuer le calcul, il est plus commode, dans la pratique, d'exprimer l'EVA sous la forme suivante :

 

EVA = r x CI - cmpc x CI

soit:

EVA = ROAI - cmpc x CI

 

où ROAI (en anglais NOPAT, net operating profits after taxes) désigne le résultat opérationnel après impôt, un résultat dans lequel l'influence du mode de financement a été neutralisée. Le montant des capitaux investis et le résultat opérationnel après impôt sont obtenus à partir des données comptables, éventuellement retraitées. Le coût du capital est égal à la moyenne pondérée du coût des diverses sources de financement. Le calcul du coût des fonds propres s'effectue en utilisant des données statistiques pour calculer un bêta sectoriel corrigé des risques spécifiques à l'entreprise (risque opérationnel, risque stratégique, risque lié aux actifs existants et risque lié à la taille et à la politique de diversification de l'entreprise).

 

2.2. La méthode des comptes de surplus : surplus de productivité globale et répartition

 

La méthode des comptes de surplus de productivité globale est issue des travaux menés à la fin des années 60 par une équipe d'économistes français rassemblés autour d'A. Vincent, de R. Courbis, de P. Temple et de P. Massé. Elle est issue d'une double ambition : mesurer l'évolution de la productivité globale et évaluer la répartition de ces "dividendes du progrès" (Massé et Bernard, 1969) entre les différents agents économiques.

 

2.2.1. Le principe général

 

A l'origine instrument de mesure macro-économique, elle a fait l'objet, grâce aux travaux des chercheurs du C.E.R.C. (Centre d'étude sur les revenus et les coûts), d'une transposition au niveau micro-économique. Ainsi adaptée, la méthode des comptes de surplus permet d'appréhender l'entreprise dans sa double fonction de création et de répartition de richesse. A la mesure de l'évolution de la productivité partielle des facteurs, la méthode substitue la mesure de la variation de la productivité globale et met en évidence la répartition qui est faite de ce gain (ou de cette perte) entre les différents partenaires -internes et externes- de l'entreprise.

 

2.2.2. La démarche de calcul

 

La méthode part d'une comparaison entre deux comptes de résultats et procède à une décomposition des variations de valeur entre variations de volume et variations de prix, selon un processus qui présente beaucoup d'analogies avec la démarche habituelle d'analyse des écarts utilisée en contrôle budgétaire.

L'idée sous-jacente au calcul du surplus de productivité globale est la suivante : l'entreprise améliore sa productivité si le volume de ses produits augmente plus que proportionnellement (respectivement diminue moins que proportionnellement) au volume des facteurs. La répartition qui est faite de ce surplus se traduit par des variations de prix, pondérées par les volumes en jeu, pour chacun des partenaires de l'entreprise -salariés, fournisseurs, clients, Etat..., sans oublier les apporteurs de capitaux-.

 

3. APPLICATION DE LA METHODE DES COMPTES DE SURPLUS A L'ANALYSE DE LA VARIATION DE L'EVA

 

La démarche proposée vise à exprimer la variation de l'EVA en termes de formation et de répartition du surplus de productivité globale, en prenant explicitement en compte le coût d'opportunité du capital. La formulation générale qui en résulte est illustrée par un exemple chiffré.

 

 

3.1. Formulation générale

 

La formulation part des équations qui décrivent deux comptes de résultat, l'un à la période n (équation 1) et l'autre à la période n+x (équation 2).

 

(1) ROAI = P x p - F x f

 

où P et p désignent respectivement les quantités et prix des produits, F et f les quantités et prix des facteurs et ROAI le résultat opérationnel après impôt pour l'année de référence n.

 

Le résultat de l'année n+x peut s'exprimer sous une forme analogue en faisant apparaître les variations -de prix, de volume et de résultat- entre les deux années considérées :

 

(2) ROAI + DROAI = [(P + DP) x (p + Dp)] - [(F + DF) x (f + Df)]

 

Les équations (1) et (2) peuvent être transformées pour y intégrer une charge supplétive, la rémunération "normale" exigée par les apporteurs de capitaux (CI x cmpc) et faire ainsi apparaître le solde EVA. On obtient alors:

 

(1') ROAI - CI x cmpc = P x p - F x f - CI x cmpc

soit:

(1') EVA = P x p - F x f - CI x cmpc

 

et

(2') (ROAI + DROAI) - [(CI + DCI) x (cmpc + Dcmpc)] =

[(P + DP) x (p + Dp)] - [(F + DF) x (f + Df)] - [(CI + DCI) x (cmpc + Dcmpc)]

soit:

(2') EVA + DEVA =

[(P + DP) x (p + Dp)]- [(F + DF) x (f + Df)] - [(CI + DCI) x (cmpc + Dcmpc)]

 

En soustrayant (1') de (2'), on obtient :

 

(a) DP x p - DF x f - DCI x cmpc =

(b) DEVA + Dp x (P + DP) - Df x (F + DF) - Dcmpc x (CI + DCI)

 

Le membre (a) de l'équation représente le surplus de productivité globale "élargi" qui prend en compte l'utilisation du facteur de production que constitue le financement des capitaux investis. Le membre (b) correspond à la répartition qui est faite de ce surplus entre les différents partenaires, internes et externes, de l'entreprise.

 

L'équation peut être réécrite pour faire apparaître les leviers de l'augmentation de l'EVA :

 

 

DEVA =

(y) [DP x p - DF x f - DCI x cmpc]

(z) - [Dp x (P + DP) - Df x (F + DF) - Dcmpc x (CI + DCI)]

 

Cette dernière formulation montre que toute augmentation de l'EVA peut être obtenue de deux façons :

- soit en accroissant l'efficience globale de l'entreprise (jeu sur y) ; il paraît alors légitime d'appliquer à ce terme l'expression "création de richesse" ;

- soit en tirant avantage des effets prix (jeu sur z) ; il semble alors plus exact d'utiliser la formulation "répartition de richesse".

 

3.2. Illustration

 

Un exemple inspiré de celui proposé par M. Albouy (1983) fournira une illustration à cet exposé. Soit une entreprise qui fabrique deux produits (A et B) en utilisant trois facteurs de production (X, Y, Z). Le montant des capitaux investis et le coût moyen pondéré de ces capitaux est estimé pour l'année n à respectivement 10 000 et 10 % et pour l'année n+1 à respectivement 11 000 et 11 %.

Les tableaux 1 et 2 présentent son compte de résultat pour l'année n et l'année n+1 en dissociant les valeurs en volume et prix.

 

 

Tableau 1 : Compte de résultat année n

 

prix volume valeur

 

Produit A 0,2000 15 000 3 000

Produit B 0,5000 8 000 4 000

-------

Total produits 7 000

 

Facteur X 0,0700 20 000 1 400

Facteur Y 0,2000 5 000 1 000

Facteur Z 0,0300 100 000 3 000

Rémunération des capitaux investis 1 000

-------

Total charges 6 400

 

EVA 600

 

 

 

 

Tableau 2 : Compte de résultat année n+1

 

prix volume valeur

 

Produit A 0,2020 13 000 2 626

Produit B 0,4910 12 000 5 892

-------

Total produits 8 518

 

Facteur X 0,0680 25 000 1 700

Facteur Y 0,2110 7 000 1 477

Facteur Z 0,0310 115 000 3 565

Rémunération des capitaux investis 1 210

-------

Total charges 7 952

 

EVA 566

 

 

 

Les tableaux 3 et 4 fournissent le compte de formation du surplus et celui de distribution du surplus entre l'année n et l'année n+1.

 

 

Tableau 3 : Compte de formation du surplus

 

Variation du volume des produits

Produit A (13 000 - 15 000) x 0,2000 = - 400

Produit B (12 000 - 8 000) x 0,5000 = 2 000

Total variation -------

du volume des produits 1 600

 

Variation du volume des facteurs

Facteur X ( 25 000 - 20 000) x 0,0700 = 350

Facteur Y ( 7 000 - 5 000) x 0,2000 = 400

Facteur Z (115 000 - 100 000) x 0,0300 = 450

Capitaux investis ( 11 000 - 10 000) x 10 % = 100

Total variation -------

du volume des facteurs 1 300

 

Surplus de productivité globale 300

 

 

 

 

Tableau 4 : Compte de distribution du surplus

 

Clients

Produit A - (0,2020 - 0,2000) x 13 000 = - 26

Produit B - (0,4910 - 0,5000) x 12 000 = 108

 

Facteurs de production

Facteur X + (0,0680 - 0,0700) x 25 000 = - 50

Facteur Y + (0,2110 - 0,2000) x 7 000 = 77

Facteur Z + (0,0310 - 0,0300) x 115 000 = 115

Apport. capitaux + (11 % - 10 %) x 11 000 = 110

 

Variation de l'EVA 566 - 600 = - 34

 

 

Malgré une amélioration de l'efficience dans l'utilisation des facteurs de production, qui s'est traduite par une augmentation du surplus de productivité globale de 300, l'EVA a diminué de 34.

 

 

Conclusion

 

Le succès des méthodes fondées sur la valeur actionnariale est souvent attribué à leur aptitude à prendre concrètement en compte le coût des ressources (Cohen, 1997, p. XIII). La méthode des comptes de surplus possède, on l'a vu, la même capacité, mais a en outre l'avantage de permettre une explicitation de l'articulation entre création et distribution de richesse. Ce faisant, elle montre que l'emploi de l'expression "création de valeur", quoique fort répandu, est inapproprié, car il occulte la dimension répartition inhérente à tout processus économique.

L'objectif proposé par les avocats de la valeur actionnariale pourrait en conséquence être reformulé en deux objectifs :

- un objectif opérationnel : améliorer l'efficience globale de l'entreprise en tenant compte de l'ensemble des facteurs de production mis en jeu, y compris le financement des capitaux investis,

- un objectif politique -parmi d'autres- : viser une répartition donnée du surplus de productivité, non plus vis-à-vis des seuls actionnaires (shareholders), mais vis-à-vis de l'ensemble des parties prenantes (stakeholders).

Dans cette perspective, le rôle de la stratégie consisterait à articuler objectifs opérationnels et objectifs politiques. Cette proposition nous semble cohérente avec les développements les plus récents de la théorie de l'agence qui conduisent à considérer que "le capital organisationnel net constitue une part substantielle de la rente à l'origine de la valeur actuelle nette positive des projets d'investissement [et que] la politique financière doit, par conséquent, être conçue de façon à ne pas compromettre la valeur [de ce capital], autrement dit, à ne pas introduire de rupture dans le respect des contrats implicites passés avec les clients, les fournisseurs, le personnel ou les collectivités locales" (Charreaux, 1993, p. 60).

 

Références bibliographiques

 

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