SENS ET COHERENCES HUMAINES
©Roger NIFLE

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DEVELOPPEMENT DURABLE DES TERRITOIRES
ET DES AGGLOMERATIONS URBAINES

UNE ALTERNATIVE COHERENTE:
LE DEVELOPPEMENT APPROPRIE

 

Roger NIFLE Janvier 1999

 

RESUME

Pour conduire une politique dans un nouveau sens ce sont toutes les conceptions et les méthodes qu'il faut changer. L'appropriation par les communautés de vie de leur développement suppose trois changements radicaux.

1) Un changement de modèle mental . Passer d'une logique de procédure, conformative, à une logique de processus et d'appropriation active.

2) Un changement de modèle opératoire . Passer d'une pratique de méthodes participatives conformatives à une pratique de l'ingénierie humaine des processus d'évolution et de maturation. Les méthodes participatives habituelles sont pratiquement toujours dans une logique conformative (conformation aux procédures, savoirs, grilles, schémas que l'on cherche à "faire passer" et qui suscitent au mieux des réponses "conformes").

L'ingénierie humaine s'appuie sur les potentiels propres aux communautés de devenir, sur les relais de maturation et d'évolution et sur des stratégies macro-pédagogiques appropriées.

3) Un changement de modèle conceptuel Passer d'une approche normative et standardisée des problèmes à une approche culturelle des potentiels, des enjeux et des pratiques.

Les concepts et les méthodes des Cohérences Humaines, notamment avec le concept de culture et de développement approprié, apportent les moyens d'un tel changement de vision et de pratique.



Nous sommes dans un monde en mutation mais on n'en voit souvent que les symptômes: perte de contrôle des systèmes classiques, prolifération des tentatives de substitution.

La gestion des territoires et des agglomérations urbaines en est le théâtre. De multiples procédures: européennes, nationales, régionales locales se disputent le privilège de redécouper le territoire et de le voir gérer par les principes qui sont les leurs. Les prérogatives des différents promoteurs sont ainsi en rivalité. Sur le terrain rien n'est possible sans allégeance à l'une ou l'autre procédure à tel point que l'exercice en est devenu un art, perdant de vue quelques fois ses enjeux propres.

La vertu de conformité serait la seule payante. C'est ainsi que l'aménagement du territoire trouverait sa cohérence et le développement durable son sens.

Or il ne s'agit là que de la fin d'une époque, croisée avec une nouvelle qui se cherche. L'enjeu ? Une alternative antagoniste ou un rapport de complémentarité.

Ce que nous allons montrer c'est que les logiques gestionnaires et conformatives traditionnelles doivent laisser la place à des logiques d'appropriation du devenir par les collectivités humaines .

Notre objectif sera surtout de proposer une conception et une méthode mais aussi un nouveau rapport entre les collectivités locales et les services de l'Etat qui pourraient réactualiser leur tradition de service à condition de repositionner leur compétence sur une ingénierie du développement .

Nous montrerons d'abord l'opposition des deux termes de l'alternative et des modèles mentaux qui les accompagnent.

Nous verrons ensuite pourquoi l'ingénierie humaine est décisive pour susciter et accompagner les dynamiques de développement approprié.

 

1) Une alternative, celle d'une mutation des modèles mentaux.

Les trente glorieuses ont aussi fait la gloire de conceptions de l'aménagement du territoire consistant à cadrer et structurer l'espace physique et économique pour donner à la croissance une régulation optimale. La conception planificatrice et ses différentes périodes plus ou moins rationalisantes en venait à croire avec ses aménagements structurants qu'elle était la source même de la dynamique de croissance. Le fait d'influer sur celle-ci en jouant sur certaines variables laissait croire qu'elle en était la cause.

Aujourd'hui rien n'échappe aux procédures, il n'est guère d'action publique qui ne soit l'application d'une procédure à tel point que l'on imagine à peine ce qu'il pourrait advenir sans elles; sans doute chaos et corruption.

Le modèle qui tend à dominer c'est de penser qu'implicitement la cause de l'action, c'est la procédure et cette procédure, de réglementaire se fait technique, organisationnelle, financière, etc.

Dès lors, un territoire c'est avant tout le champ d'une procédure, procédure qui tente de définir la vie ou les règles qui doivent s'y imposer. C'est ainsi que l'aménagement du territoire est devenu à diverses échelles près, la mise en oeuvre de procédures tendant à rationaliser les dispositions et les équipements qui conviennent au dit territoire.

Le modèle mental est celui-là: partant d'un cadre formel à priori doivent y être intégré, les opérations à conduire dans l'intérêt de ce territoire selon sa rationalité spécifique.

Il s'agit d'une démarche conformative du début à la fin, depuis ceux qui s'en chargent, ceux qui en décident, ceux qui sont sensé l'appliquer sur leur réalité afin qu'elle en soit transformée.

Il n'y a là nulle appropriation même lorsqu'une "procédure participative", souvent leurrante et conformative, est appliquée.

A l'inverse la conception est la suivante. Le devenir d'un territoire c'est celui de la communauté qui lui donne une identité et une histoire (les territoires n'ont pas d'histoire par eux-mêmes et donc pas de développement).

On peut parler de développement lorsque cette communauté est en marche, dans une marche de progrès ce qui suppose un mouvement, un but, une démarche.

Le développement est alors conçu comme le déploiement d'une dynamique orientée par laquelle la communauté progresse sur tous les plans de son existence selon les enjeux et les valeurs qui lui sont propres.

Déjà certains lecteurs trouveront cela utopique surtout s'ils sont attachés à examiner le fonctionnement des sociétés humaines selon les procédures qu'elles emploient et les dysfonctionnement qu'elles subissent. Et pourtant nous sommes le fruit de cela, du développement de richesses humaines, du déploiement de ressources culturelles.

Dans cette optique, le développement est véritablement endogène, né d'une source propre, originale, engagé selon des modalités, des rythmes qui lui sont propres, originaux, déployé selon des formes qui expriment la culture même de la communauté.

Cela n'empêche en rien que ce développement soit ordonné, rationalisé. Cela n'empêche en rien qu'il tienne compte des "conditions extérieures" d'intérêt plus général ou de solidarités plus globales. Cela n'empêche en rien que cela se formule selon des plans, qu'il y ait plans d'aménagements et même, au bout du compte, réalisation d'équipements appropriés. La différence c'est que les plans ne sont plus conformatifs (pour y conformer la réalité) mais projectifs (pour guider la marche en avant vers des horizons structurants).

Pour résumer considérons deux modèles implicites ici simplifiés à l'extrême afin de permettre d'en comprendre l'antagonisme.

D'un côté, imaginons un cadre, une structure organisée, un plan, un schéma selon lequel on va essayer de conformer la réalité, prétendant ainsi agir pour le bien public dont chacun est sommé d'être solidaire.

D'un autre côté, imaginons un centre, un foyer, une source de richesses humaines et à partir de là un déploiement qui prend des formes originales bien qu'adaptées aux conditions environnantes.

Dans le premier cas on se heurte sans cesse au divorce entre concepteurs de plan et collectivités qui s'approprient mal les bienfaits qu'on leur destine.

Dans le second cas il s'agit d'un développement approprié:

- approprié par ceux dont c'est l'histoire même,

- approprié à l'originalité et la singularité de la communauté et sa culture,

- approprié aux conditions environnantes qui sont rencontrées.

Il est clair que ce type de développement peut aussi être qualifié de durable en cela qu'il s'inscrit dans une histoire et donc une portée de long terme, et en cela qu'il s'inscrit dans un environnement auquel il est aussi adossé et enfin parce que toute action maîtrisée ne peut se contenter d'aménagement à court terme mais doit inscrire ses projets et réalisations dans la durée.

2) Le développement approprié ne peut être qu'endogène et durable. Mais comment le conduire ?

Depuis peu le thème de la gouvernance est associé au développement dans les références du développement durable. Il s'agit bien, vu sous l'angle qui est le nôtre, de la façon dont on peut conduire humainement un tel déploiement.

Très vite le modèle traditionnel y a vu gestion, administration et procédures.

Malheureusement la prégnance des modèles mentaux s'impose aux idées les plus avancées. On met donc en place des "procédures participatives" dont le formalisme stérilise systématiquement toute originalité, toute véritable dynamique humaine de développement en en créant l'illusion ou la déception. Il reste aux réflexes conformatifs à parachever l'oeuvre et à qualifier d'endogène ce qui est élan technocratique, maintenant cautionné de l'onction participative.

Il faut dire ici avec force que la méconnaissance des phénomènes humains et des savoir-faire d'ingénierie humaine sont criants.

Le recours aux références conformatives semble être le seul secours et le seul discours disponible pour ceux qui vertueusement voudraient y concourir. N'y échappent que naïvetés, bons sentiments, malignités ou talents atypiques.

Il y a là une carence que seule la mutation des modèles mentaux peut permettre de combler. Ne cherchons pas alors une nouvelle recette conformative que l'on pourra, comme une procédure, pousser devant soi.

Au contraire la compétence réclame à la fois l'humilité de l'action sur l'autre, l'acceptation de l'inconnu de la communauté, toujours étrangère, dont on ignore plus qu'on connaît et que l'on va néanmoins encourager, aider par son action. Elle réclame à la fois aussi une intelligence des situations, une compréhension des dynamiques, une appréhension du réel beaucoup plus larges et complexes que n'importe quelle procédure ne peut les prendre en compte. Il faudra aussi s'y impliquer, dans une action qui est à la fois animation et stratégie. Tels sont les premières caractéristiques de l'ingénierie humaine.

Elle réclame connaissances, intelligence, ingéniosité, intégration de tous les plans du réel, ambition, humilité et réalisme, maîtrise personnelle et professionnalisme, méthodes et techniques, Sens et cohérence, respect et considération.

Voyons en quelques images ce que l'ingénierie humaine peut apporter en pratique pour le développement approprié.

Le foyer de développement

Les territoires n'offrent pas toujours une identité collective, signe de l'existence d'une communauté de développement.

C'est donc le premier enjeu: constituer ou mettre en évidence la communauté de développement sans laquelle il n'y a tout simplement pas de développement.

On notera qu'une communauté qui ne s'est pas encore identifiée ne peut se "projeter" dans l'avenir, ni engager une démarche volontariste quelconque. Elle ne peut aussi assumer son développement.

Ainsi chaque communauté humaine est radicalement différente mais toutes ont à parcourir différentes étapes, différents âges, différents degrés de maturité. Mais ce n'est là rien d'autre que la voie du développement qui donc est aux prises avec le problème de maturité et de maîtrise, à la fois fruits du développement et conditions de celui-ci. Ce paradoxe trouve aisément sa solution de deux façons complémentaires:

- L'apport d'un service de maîtrise extérieur. Voilà un repère pour le service public et les services de l'Etat.

- L'existence au sein d'une même communauté de différences de niveaux de maturité et de responsabilité, les plus avancés ayant à aider les autres à progresser. C'est une loi, quelques fois oubliée, de la hiérarchie des valeurs et des charges dans les sociétés humaines.

S'il y a parmi ces charges, certaines qui tiennent à l'enjeu d'unité et de devenir de la cité alors ces responsables "politiques" doivent être considérés comme ceux qu'il va falloir aider à assumer leur charge, maintenant qu'elle se définit ainsi.

L'ingénierie humaine a à connaître de ces phénomènes et situations et y situer son art et son rôle.

Par exemple, elle saura comment intervenir de l'extérieur, quelque fois de façon volontariste, pour faire se lever la maîtrise, l'originalité, la liberté de l'autre, l'autre étant ici la communauté qu'il s'agit d'accompagner. C'est là que se pose la question de la conduite du développement alors que c'est la communauté qui a à se conduire elle-même.

Pour cela une des clés de l'ingénierie humaine, c'est de repérer les sources de potentiels, les pôles de maturité et d'aider à en révéler et développer les capacités propres.

Il s'agit là par exemple de la question des dynamiques humaines. Seules sont durables celles qui cultivent les aspirations les plus gratifiantes (et certainement pas celles qui se fondent sur la menace à moins de faire commerce de l'insécurité et de la diffusion de l'inquiétude et de la peur).

Il existe, on le verra des méthodes pour interpeller, solliciter, identifier le meilleur d'une communauté, ce dans quoi elle se plaît à se reconnaître authentiquement.

Cela dit ces dynamiques collectives se déploient par entraînement, par contamination vertueuse. Il y faut donc des relais et des cadres.

L'ingénierie humaine aura ainsi à construire des stratégies macro pédagogiques de dynamisation collective.

En outre, la mise en mouvement se heurte aux craintes, aux dérangements qui font que tout développement s'accompagne de fragilités et risque d'avorter. L'ingénierie humaine devra former les cadres structurants, les soutiens, les concours, les réunions qui donnent de la force au mouvement.

Par ailleurs, le développement intègre la diversité des aspects de la vie collective et des conditions de ce développement, elle aura alors à savoir se déployer sur différents registres si bien que l'ingénierie humaine se fait ingénierie du développement et intègre plusieurs types d'ingénierie classiquement séparés en disciplines qui s'ignorent.

La gouvernance trouvera là ses concepts et ses méthodes et pourra troquer ses naïvetés contre de véritables compétences. Mais n'est-ce pas la condition pour apporter un véritable service de maîtrise du développement pour les collectivités concernées?

En résumé l'ingénierie du développement se base sur une ingénierie humaine qui sait préparer les conditions d'une dynamique appropriée et en accompagner la montée en puissance et le développement de la maîtrise.

La stratégie de rayonnement à partir d'un foyer se traduit par une stratégie de rayonnement à partir d'un petit nombre entraînant le grand nombre sur les voies qui lui appartiennent.

C'est certainement un travail plus proche de la maïeutique que de la mécanique.

3) La culture comme concept structurant du développement approprié et comme clé opérationnelle de l'ingénierie du développement.

L'erreur mécaniste est de croire que le jeu des opinions à un moment donné produit le sens de l'histoire. On pourrait craindre alors qu'elle soit plus errance que développement.

Mais alors se pose le problème d'un Sens du développement qui précède, sous-tende et oriente le développement approprié.

Le développement est approprié s'il va dans le Sens du bien commun. Le Sens du bien commun est approprié, s'il actualise le meilleur potentiel de la communauté. Le développement approprié "cultive" ce potentiel dans le Sens du bien commun.

Ainsi émergent les notions de culture et de vocation d'une communauté humaine comme clés conceptuelles et opérationnelles sans lesquelles tout l'édifice du développement approprié et de l'ingénierie humaine ne resteraient que voeux pieux.

C'est d'ailleurs ce qui s'est passé au cours des décennies précédentes.

Notre pays a l'inconvénient d'être peu familier avec ce concept de culture et l'avantage d'être ainsi plus disponible à son renouvellement radical qui le rende enfin opérationnel.

Une communauté humaine peut être conçue de différentes manières soit en fonction de son degré de maturité, soit en fonction du degré de maturité du concepteur.

On distinguera alors quatre niveaux d'évolution:

Les groupes archaïques liées par le jeu des affects et des logiques d'inclusion / exclusion.

Les agglomérations primaires coordonnées autour de préoccupations de subsistance et de sécurité matérielle.

Les sociétés secondaires rassemblées par une identification collective, un jeu de représentations et de règles communes.

Les communautés majeures, communautés de Sens partagé et d'engagement mutuel.

Sauf à s'égarer chaque communauté humaine intègre les différents niveaux et dans son histoire et dans son actualité.

C'est cette trajectoire d'évolution qui est celle de son développement et dont on a quelques repères généraux ici.

Ce chemin est celui de sa vocation, celui où se cultive une richesse qui lui est propre, des potentiels originaux, les racines d'une culture.

La culture d'une communauté peut être comprise à trois niveaux:

- Celui des racines, des soubassements où se situe le Sens qu'elle a à cultiver - la culture comme racines,

- Celui de l'expression de ces racines selon des formes, des manières et des réalités qui sont les siennes - la culture comme expression,

- Celui de l'activité de développement et de progrès qui est un travail de culture - la culture comme activité.

Le développement approprié est le fruit d'un travail de culture des meilleurs potentiels sur des modes d'existence collective appropriés.

L'ingénierie du développement trouvera là quelques points d'appui décisifs:

- Il est possible d'élucider le sens de la vocation d'une communauté humaine quelque soit son propre niveau de conscience.

- Il est possible de valider cette vocation tant dans l'histoire que dans l'actualité et notamment par l'appropriation qui en est faite par des représentants de la communauté.

- Il est possible de repérer où en est la communauté de son évolution, ou ses différentes parties.

- Il est possible de construire des stratégies de dynamisation qui entraînent un processus de développement approprié à la mesure des capacités de maîtrise de la communauté.

- Il est possible d'évaluer le service rendu à la communauté par le progrès de son appropriation de son propre devenir.

Des techniques et des méthodes existent pour cela ainsi que des exigences éthiques et des disciplines pratiques.

Les termes de toutes ces questions appartiennent au champ des préoccupations de l'actualité collective. On le dira en termes d'économie, d'identité, de projets, d'aménagements, d'équipements, de finances et même de procédures.

On le dira aussi dans des termes originaux propres à l'histoire et à la culture de chaque communauté dont le développement est imprévisible et ne peut être conformatif.

L'ingénierie du développement inclue la maîtrise de diverses techniques mais surtout la maîtrise de processus dont les stratégies doivent être imaginées sur la base d'une connaissance de la vocation culturelle propre.

Au fond ce qu'apporte de nouveau le développement approprié par rapport à l'excès des procédures que l'on connaît c'est de centrer le développement sur l'homme (article 1 de la déclaration du RIO!). Reste à en développer la connaissance et la compétence et à en assurer la charge de service auprès des collectivités locales et territoriales de toutes tailles.

 


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