SENS ET COHERENCES HUMAINES
©Roger NIFLE

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LE SENS DU VIRTUEL

Roger Nifle septembre 1996



Le terme de virtuel pose un problème sémantique. Il est, en fait, révélateur du problème de Sens qui se pose à propos des phénomènes de mutation qui se produisent actuellement.

Il n'est pas nouveau de souligner que la façon de voir l'avenir de même que celle d'interpréter le passé sont principalement révélatrices du Sens dans lequel on se trouve disposé au présent.

Or le terme de virtuel porte différents sens qui réalisent et révèlent les regards et les positions des uns ou des autres.

* Pour les uns la réalité virtuelle est en fait une simulation de la réalité obtenue par le maniement d'un modèle, d'une structure, d'un programme sous-jacent.

C'est la vision de ceux qui voient dans la capacité de modélisation et de reproduction des ordinateurs la possibilité de simuler de plus en plus exactement la réalité. Ils pensent volontiers que les structures du cerveau et celles des ordinateurs se rapprochent.


* Pour d'autres, à l'inverse, ce n'est pas la reproduction du modèle qui compte mais la potentialité qui se trouve disponible.

Ainsi un musée virtuel n'est pas forcément la reproduction des musées habituels mais quelque chose dont l'essentiel est de nous faire accéder à l'âme des oeuvres. Par exemple la présentation virtuelle de l'impressionnisme au château d'Auvers sur Oise ne ressemble pas à un musée et n'expose aucun tableau mais elle veut nous faire vivre cela même qu'ont voulu exprimer les impressionnistes.

Cette réalité est virtuelle parce que "capable de" nous faire vivre quelque chose dont elle est tout simplement médiatrice.

* Pour d'autres encore, les réalités virtuelles sont la production par des machineries complexes d'une quasi réalité, machination de l'homme, production d'hommes machines qui le disputent à Frankenstein.

Les productions que nous montre le salon Imagina répètent souvent des thèmes forts : le morcellement du corps humain, l'autonomisation de mains, l'aliénation machinique, la chosification de l'homme, ou bien, l'adoption de comportements humains par des choses. La perte de contrôle dans l'espace temps ou au contraire une maîtrise qui défie l'espace temps.

Se faire machiner par la machine... et lui abandonner son humanité, tel est le Sens d'une réalité virtuelle qui est la production encore renouvelée d'un monde machinique qui s'impose à l'homme en s'y substituant. Angoisse et morbidité.

* Pour d'autres enfin, le terme de virtuel qualifie ce qui est porteur de promesse. En ce sens un projet est virtuel parce qu'il prépare la réalisation espérée. Virtuel veut dire doté de vertu, celle d'accomplir une promesse.

Cette promesse a toujours valeur humaine. Virtuel est une qualité, qui a le caractère de toute qualité d'être promesse de valeur. Virtuel qualifie ce qui répond aux aspirations humaines, ce qui en réalise les intentions, désir ou attentes.

C'est dans ce sens que la généralisation du qualificatif de virtuel à des communautés, à des mondes, des espaces, des entreprises, un commerce, une économie, une culture, correspond à l'identification spécifique à leur vocation pour l'homme. C'est pour cela qu'elles sont un puissant véhicule d'investissement et d'espérances.

Si l'on conjugue le deuxième et le dernier de ces Sens, alors on retrouve le Sens selon lequel le terme est utilisé ici.

Virtuel veut dire à la fois porteur de potentiel et à la fois vecteur d'actualisation de ces potentiels.

Les réalités sont virtuelles parce qu'elles réalisent et révèlent les virtualités humaines, parce qu'elles actualisent et accomplissent les valeurs humaines, parce qu'elles sont acte d'hommes engagés dans leur vocation d'humains.

C'est là que le recours à une anthropologie cohérente est essentielle et que la théorie des Cohérences Humaines épouse à son tour ce caractère virtuel.

Elle témoigne des Sens et cohérences humaines, virtualités de l'homme, et elle permet de les accomplir par des moyens et des pratiques qui en ont la vertu.

Signalons encore trois autres Sens où le caractère virtuel se traduit successivement :

* par le statut de prototype,
* par le rôle de chimère monstrueuse,
* par la fonction de simulacre de la réalité.

Il reste à éclairer un autre aspect de la notion de virtuel en rapport avec l'émergence d'une culture du virtuel.

La racine VIR nous met, non pas, dans un contexte d'abstraction du réel, de fiction artificieuse, mais au contraire dans l'intime de l'homme.

Comment ne pas être alerté par cette étrange familiarité, comment ne pas voir le lien intime entre la réalité, le monde et l'humanité de l'homme.

Il nous est habituel de considérer l'homme comme dérivé de la terre, homo-humus, et c'est là certes une dimension de l'humain.

Cependant ces termes vertu, courage, valeur et "âge d'homme" pour traduire le terme de monde en anglais et en allemand, évoquent bien autre chose. Ils évoquent l'homme dans sa dimension "Vir". Et c'est justement cela qui se révèle.

Nous arrivons à un âge de l'humanité, où elle peut assumer de façon plus patente, ce caractère intentionnel de l'homme-sujet. C'est aussi une approche du Sens de la notion de personne.

La conquête de l'identité individuelle a été la grande affaire de l'âge des représentations. La révélation de la personnalité originale et originante sera celle de l'âge du Sens.

La culture de la raison amène à un nouveau seuil celui de la découverte que c'est par la dimension VIR, de sujet intentionnel que l'homme est vraiment homme et que cette dimension est elle-même le témoignage de la transcendance de la personne, être de Sens.

Du même coup, l'ordre est renversé. Si pour ses modes d'existence premiers, l'homme apparaît comme produit de la terre. Pour son existence spécifiquement humaine alors c'est la réalité qui apparaît comme étant virtuelle toute imprégnée dans ses Sens et dans sa consistance des virtualités humaines qu'elle incarne.

A l'âge d'homme, celui-ci supporte le monde, l'homo se révèle Vir et l'humus réalité virtuelle.

La mondialisation est virtualisation du monde, c'est-à-dire révélation qu'il est monde de l'homme.

Voilà le basculement, la révolution copernicienne qui nous est donnée à vivre collectivement. Mais comment le dire à ceux qui marchent la tête en bas et font de la raison un fondement plutôt qu'un développement de l'intention humaine et de la réalité ?

Roger NIFLE Septembre 1996

 


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