SENS ET COHERENCES HUMAINES
©Roger NIFLE

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LES AGES DE LA VIE




I - LES AGES, UN PROBLEME DE COMPREHENSION


Les âges de la vie sont conçus comme des étapes caractérisées par un certain état d'évolution, plus ou moins reconnu et intégré à une conscience collective, selon les cultures.

L'enfance, par exemple, est surtout comprise comme une étape spécifique depuis le siècle dernier et les études qui en dessinent les différentes phases avec une relative précision sont pour la plupart récentes.

L'adolescence est un seuil de passage dont la reconnaissance sociale est aussi relativement actuelle dans nos sociétés jusqu'à être sur-valorisée par l'exaltation des images de la jeunesse prise dans cette période de transition.

L'âge adulte a été considéré jusqu'ici comme la phase active d'exercice d'une fonction sociale à caractère professionnel et économique dont l'achèvement introduit à la retraite, période de fin de vie conçue souvent comme une phase de repos puis de dégradation.

Or, dans ce tableau, si la phase de l'enfance est relativement bien reconnue, dès que l'on franchit l'adolescence, la distinction phase adulte-retraite, assimilée encore à une division 2 âge - 3 âge, reste particulièrement pauvre dans la compréhension de l'évolution de la vie humaine.

D'une façon générale, le sens et les enjeux des étapes d'une vie humaine sont très mal connus. Les perturbations qui peuvent s'y produire masquent d'autant plus le parcours d'une saine vie humaine. Au lieu d'une compréhension de ce qui se joue et se réalise en l'homme au travers de ses différents âges, des idéalisations incontrôlées servent de modèles et d'objectifs implicites.

Par exemple, l'inactivité socialement organisée avec la retraite n'est nullement une nécessité d'évolution et le mythe d'une fatale dégénérescence intellectuelle très tôt dans l'existence vient récemment de tomber. Les chercheurs ont montré que cette dégénérescence des capacités intellectuelles n'était que la conséquence d'autres difficultés jusqu'à un âge très avancé.

Par ailleurs, l'infantilisation de la personne âgée est aussi plus une projection facile qu'une condition inhérente à la nature humaine.

De ce fait, ni les personnes, ni les corps sociaux et les pouvoirs publics n'ont de critères clairs pour orienter les projets de vie aux différentes étapes. Les réflexes régressifs ou défensifs ont alors tendance à prendre le pas et instaurer des cercles vicieux en tant que normes d'évolution.


II - UNE THEORIE DES AGES ET DE LEURS ENJEUX

La théorie des Cohérences Humaines propose une conception cohérente de la succession des âges de la vie, de leurs enjeux spécifiques et de leurs seuils de passage.

S'y dessinent les moments de développement d'une vie engagée et ceux d'un désengagement progressif de l'existence comme un processus normal qui ne va pas fatalement avec une régression de la personne mais au contraire un accomplissement.

Pour en comprendre les étapes, il faut parcourir l'ensemble des âges de la vie.

Il faut savoir que cette trajectoire structurée ne peut être établie par la simple observation même si l'expérience la confirme. Il y faut un fondement dont l'intelligence soit possible à partir d'une compréhension de la nature humaine. C'est bien la condition pour sortir, par exemple, du modèle simpliste : croissance, palier, dégradation.

En fait, dans chaque culture se dessinent des parcours types pour les âges et cette norme détermine aussi l'anormal et même le pathologique.
C'est alors que selon qu'une communauté de culture est investie dans ses meilleures logiques ou les moins bonnes, elle dessine une norme de trajet de vie saine ou distordue.

Ainsi si pour les uns la sagesse est un apanage de l'âge avancé, pour d'autre il n'est souci que de distraction, régression et infantilisation, alors que d'autres encore ont créé à l'étranger des maisons de retraite (les japonais au Portugal).

Si l'on veut penser et accompagner les personnes âgées, par exemple, encore faut-il expliciter le chemin souhaitable même si on aura à tenir compte de la multiplicité des situations et aussi des modèles individuels ou familiaux.

Cependant, on ne peut véritablement évaluer les cas réels qu'à l'aide d'une échelle de valeur, donc d'une intelligence de ce que peut être un bon chemin.

La théorie des Cohérences Humaines montre que les âges de la vie sont la traversée de trois espaces existentiels où se joue en priorité un progrès de la personne dans l'une des trois grandes dimensions :

Trois grandes périodes marquent ainsi la vie dont les phases sont séparées par des seuils de transitions qui correspondent à de véritables mutations.

Il y a ainsi des phases de progrès dont les enjeux sont dans un espace existentiel privilégié et des seuils, carrefours où se joue la manière dont va être abordée la phase suivante.

Il faudra être très attentif au fait qu'il s'agit du parcours propre à la vie de la personne et non pas des apparences extérieures qu'il offre aux regards. Ce sera particulièrement important pour le 3 âge.

III - LES GRANDES PERIODES DE LA VIE

Les travaux issus de la théorie des Cohérences Humaines montrent que l'on peut tout d'abord distinguer trois périodes :

Cette dernière concerne les personnes âgées. Cependant elle ne peut être comprise sans une vision d'ensemble et les problèmes qui s'y posent ne sont intelligibles que par ce qu'il en est du cheminement général.

1 - Gestation :
Inaugurée par la conception, elle s'achève par la naissance qui est "venue au monde". Elle est caractérisée, pour la personne, par le développement principal d'une affectivité archaïque qui va sous-tendre toute l'existence et dont les résurgences massives font retour à cet archaïsme lorsqu'elles ne sont pas métabolisées d'une façon mâture (ex. les relations passionnelles, destructrices si elles ne deviennent pas relations responsables, en couple par exemple).

2 - Période d'engagement et de développement :
Elle se traduit par un développement progressif de l'individu et par une implication de plus en plus importante et responsable dans la vie en communauté.

3 - Période de désengagement et de retrait :
Elle se traduit par une désimplication progressive et un retrait de l'existence qui accompagne néanmoins un possible progrès intérieur de la personne.

C'est là qu'il peut y avoir contradiction entre un retrait existentiel naturel, où la personne progresse, et une dégénérescence qui ne serait comprise que comme dégradation.











IV - LES PHASES DE DEVELOPPEMENT

1 - L'Enfance :

Elle s'ouvre sur le seuil de la venue au monde et s'achève normalement avec celui de l'adolescence.

Elle a pour enjeu la croissance d'une maîtrise comportementale. Grandir, plutôt que régresser, assumer sevrages et séparations, faire l'apprentissage des comportement sociaux, acquérir les savoir-faire existentiels en sont les principaux contenus. Le tout se développe dans un espace factuel (primaire).

2 - L'âge adulte :
Il s'ouvre sur le seuil de l'adolescence et s'achève normalement sur le seuil de maturité. Il y a là déjà un problème dans la mesure où ce dernier seuil est à peine reconnu culturellement. Seuls quelques auteurs ou quelques traditions en placent le moment vers 35 ou 40 ans. Il peut, bien sûr, se situer bien au-delà (ou plus rarement en deçà).

L'adolescence est confrontée à la question de l'indépendance, le seuil de la maturité est celui de l'autonomie, c'est-à-dire la reconnaissance du Sens propre de son existence et d'une vocation personnelle à assumer.

L'âge adulte, qui y prépare, a pour enjeu l'évolution d'une maîtrise identitaire.

Participer au jeu social, y tenir une place, une fonction, un statut, progresser vers la singularité d'une identification, d'un point de vue, d'une distinction sociale, tels sont les enjeux, souvent identifiés à la réussite sociale.

Or, c'est bien souvent là qu'est imaginé le seuil d'une retraite, prématurée sur le plan du développement personnel bien que souvent retardée dans le temps.

Les mises à la retraite anticipée et le développement d'une population qui sort de plus en plus tôt des standards socioculturels d'une vie active montre qu'il y a autre chose à envisager que la retraite-dégradation pour des personnes souvent arrivées à leur pleine maturité.

3 - L'âge mâture :
Il s'ouvre sur ce seuil de maturité et s'achève sur celui qui devrait être la véritable retraite, située dans la troisième période, celle des personnes âgées.

Cette troisième phase de développement a le champ relationnel de la communauté comme espace privilégié et comme enjeu le développement d'une responsabilité, d'une autorité personnelle dans l'évolution de la communauté.

Ce devrait être l'âge privilégié des élus, des dirigeants, des responsables, des institutions sociales, communautaires, des experts et "maîtres" dans leurs arts et professions.

Notons ici que certains milieux ne conçoivent rien au-delà de l'âge primaire. Le modernisme n'imagine rien au-delà de l'âge secondaire (d'où les retraites anticipées en pleine maturité). Il faut interroger diverses traditions ou sagesses pour comprendre ce qu'est cette troisième étape ou bien être suffisamment lucide sur l'existant.

V - LES PHASES DE VIEILLISSEMENT

1 - Première Phase

La première s'inaugure avec le seuil de retraite caractérisé par la décharge des responsabilité communautaires. On n'a pas encore de terme approprié pour le seuil suivant.

Cette première phase est celle d'un désengagement factuel, comportemental.

Désengagement ne veut pas dire régression mais désimplication, gratuité.

C'est une période ou le "faire" est bénévole et de nombreuses personnes âgées y sont très actives dans l'aide gratuite (sans engagement durable) pour aller vers un désengagement progressif de l'implication physique et comportementale, donc de l'utilité, de l'habileté et des performances existentielles, appelées à diminuer.

C'est un temps d'expérience et d'acceptation de ce retrait de la présence active.

2 - Deuxième Phase

Elle s'inaugure dans une entrée dans la dépendance existentielle (à la différence de l'adolescence qui était quête d'indépendance).

Mais cette dépendance n'est pas normalement perte d'autonomie personnelle au Sens humain du terme (la dépendance physique ou comportementale n'est pas normalement synonyme de perte d'autonomie humaine).

Cette seconde phase est celle du retrait identitaire, social, mental. C'est la participation à la vie sociale, au soutien d'une identité individuelle qui sont en question. La personne s'en dégageant peut paraître déficiente mentalement alors qu'elle n'est simplement qu'en retrait, qu'elle cesse progressivement d'être concernée à ce niveau.

C'est évidemment source d'angoisse, notamment pour tous ceux qui sont fragilisés ou investis dans un âge adulte en développement dont les aspirations identitaires sont comme démenties dans le grand âge.



Cette seconde phase s'achève sur un seuil où c'est le renoncement à soi-même qui est l'enjeu, à tout désir propre, non pas comme résignation mais comme acceptation, liberté évidemment difficilement compréhensible pour tous ceux, à peine adultes, en quête d'une liberté juvénile, d'une identité sociale ou d'un pouvoir narcissique, etc...

3 - Troisième Phase
La troisième phase terminale est celle d'un désengagement de tout lien à autrui dans ce qui peut apparaître comme une indifférence qui est indifférenciation. Celle-ci n'est pas de l'ordre de la confusion archaïque, mais de l'ordre du repos existentiel que le seuil de la mort parachève.

Dans tout ce tableau les temps ne sont pas mesurés, calibrés. Les cultures, les époques leur donnent une mesure et un visage particulier. Elles tendent parfois à les effacer ou à les retenir comme pour les fixer. Les temps peuvent être ainsi indéfiniment allongés ou raccourcis.
Ainsi, si la première période de retrait reste encore relativement reconnue, acceptée, avec les images des grands parents disponibles et bénévoles par exemple ; la seconde et la troisième périodes sont considérées trop souvent comme des anomalies à éviter. C'est la même chose que de considérer la mort comme un accident, fatal mais anormal.
Il est parfaitement justifié qu'il y ait une "prise en charge" progressive des personnes âgées par les communautés (familiales ou élargies).

Cependant, elle ne doit être, normalement, qu'à la mesure du désengagement existentiel progressif, non pas pour le freiner ou l'empêcher mais pour l'accompagner au rythme du progrès de la personne. Les durées en seraient changées.

La médicalisation, dans ce tableau de l'accompagnement, doit alors être soigneusement différenciée entre :

L'ensemble des questions d'aides aux personnes âgées peuvent être repensées en conséquence et surtout réajustés bien des à priori, des idées reçues, des tentatives idéalisées mais inadaptées.

Le plus simple sera bien souvent le plus juste si les accompagnateurs, les experts et décideurs reconnaissent et acceptent pour eux et pour les autres les enjeux humains du vieillissement et ainsi de ne pas lutter contre, les dissimuler ou les distordre, mais d'en assumer la responsabilité.



Roger NIFLE Janvier 1994


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