SENS ET COHERENCES HUMAINES
©Roger NIFLE

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DEMOCRATIE ET GOUVERNANCE
La conduite des projets territoriaux


Il est un temps de mutation où émergent de nouveaux concepts tel que celui de gouvernance. On a rapidement l'intuition que cela touche à du connu mais qu'il y a néanmoins quelque chose d'autre qui en fait l'intérêt. Gouvernance s'applique au domaine des grandes organisations et aussi celui des territoires ou espaces du politique qui nous intéressent en priorité ici. Il y est question de la manière de gouverner, de la bonne pratique pour conduire les affaires collectives impliquant une certaine participation responsable des acteurs ou populations concernées.

Le lien avec la démocratie est souvent fait, évoquant le voeu d'une démocratie participative, alternative à une démocratie représentative jugée insuffisante... notamment par défaut de "bonne gouvernance" de la part des dits représentants. La gouvernance est ainsi quelque fois une alternative critique dont "la bonne pratique" reste néanmoins incertaine, notamment chez ses promoteurs qui se nourrissent surtout de la dénonciation des pratiques existantes. Or cette émergence mérite mieux.

Elle évoque la question de la conduite d'une population sur un territoire. Cette conduite est d'un autre ordre que la seule "gestion des choses" qui prévaut trop souvent. La gouverne ou le "gouvernement des hommes" reviendrait-il à l'ordre du jour ?

Sur un territoire le gouvernement des hommes suppose trois conditions :
- Il faut qu'il y ait identification collective de la population, identité qui est la condition d'une quelconque projection dans l'avenir. Sans identité collective pas de projet commun.
- Il faut qu'il y ait justement un sens, une ambition, une orientation donnée au futur et dans lequel la population se reconnaît et, mieux, y retrouve ses aspirations, valeurs et motivations. Sans orientation commune engageante pas de projet partagé.
- Il faut enfin que l'idée d'une marche en avant collective soit acquise, restant à en structurer dynamiques et modalités, reliant des acteurs et moyens mobilisés sans quoi le projet n'est pas approprié par les acteurs et la population. C'est là que les projets territoriaux trouvent leur place.

Qu'y a-t-il de nouveau ?
- Les territoires s'identifient de plus en plus à des "communautés de Sens", c'est-à-dire des communautés de devenir et de projets ancrés dans une vocation collective.
- La vocation collective du territoire "autorise" une volonté partagée, une orientation commune, une direction de l'avenir posée et proposée en relation avec d'autres territoires.
- Les projets territoriaux sont alors l'expression d'une volonté collective se structurant, une mise en mouvement et sont la réalisation de projets concourants à un développement "approprié".

C'est là le Sens du temps qui remet en question les logiques purement gestionnaires et rationalisantes centrées sur les choses, ignorant les hommes et les enjeux "humains" de leur devenir. C'est là aussi le Sens d'un temps où la maîtrise par les hommes de leurs communautés territoriales se fait plus responsable et plus autonome, à contre courant d'une critique systématique du progrès et des valeurs de la "civilisation" humaine.

Les enjeux sont très vastes, rejoignant les questions les plus essentielles de la vie collective à celles plus pragmatiques de la conduite des affaires communes. La démocratie et ses conceptions sont interpellées mais aussi la compréhension des sociétés humaines et de leur "marche en avant" et enfin celle des pratiques de gouvernement des hommes dont la "gouvernance" est la conception nouvelle".

Il est clair que cela concerne les responsables politiques, les dirigeants territoriaux, les services de l'Etat qui y trouveront de nouvelles politiques de service et aussi tout ceux qui ont à en tirer des enseignements pour leur propre participation aux affaires communes et la conduite des responsabilités qu'il ont à assumer dans leur secteur.

Il nous faudra donner quelques éclairages au préalable sur deux questions essentielles :
- La nature des communautés humaines, le Sens du bien commun et les étapes de leur évolution qui justifient le principe même d'une bonne gouvernance.
- La nature de la démocratie et ses modes d'exercices en fonction des stades de maturation de la communauté et des diverses populations.

Les communautés humaines sont le terrain même de la gouvernance. Il s'agit donc de les comprendre comme des communautés de devenir, partageant une communauté de Sens qui deviennent ainsi communautés de projets. Sans projet, sans direction à prendre et des objectifs ou des enjeux à atteindre dans cette direction, il n'y a rien à gouverner.
C'est donc le nouveau visage des collectivités territoriales concernées: des communautés de Sens partageant une ambition pour l'avenir. Cette conception fait suite à d'autres qui correspondent en fait à des sociétés moins évoluées.

Les sociétés archaïques sont sous le régime des affects, des impulsions, de pouvoirs d'emprise. S'il s'agissait d'y exercer quelque "gouvernance", c'est à la pacification et au contrôle des pulsions excessives qu'il faudrait s'attacher par le biais d'un pouvoir directif et donc régulateur.
Les sociétés encore primaires se préoccupent surtout de leur subsistance et de leur confort. La bonne gouvernance ne porterait alors que sur la gestion des choses au travers d'une organisation optimisée. C'est une approche technicienne qui prévaut.
Les sociétés secondaires sont engagées dans des jeux d'identité et de représentations collectives réglées par le droit. La gouvernance s'exerce par une démocratie représentative qui établit la loi et les règles communes.
Les sociétés de types tertiaires, émergeantes, font appel à un autre critère qui est le Sens de l'avenir qui forme la communauté et réclame une conduite dans ce Sens de la marche en avant de la collectivité. On notera ici que l'essentiel pour l'avenir de la société devient le Sens de l'avenir et le projet qui donne vocation au territoire dans un contexte d'élargissement européen et de mondialisation.

Il apparaît à l'évidence que les trois étapes antérieures sont perpétuellement remises en question. Il apparaît aussi que de puissantes forces régressives tendent à y retourner ou s'y fixer et que certaines pratiques politiques sociales, institutionnelles, professionnelles même contribuent activement à ces régressions.

Cependant la nouveauté c'est aussi que c'est la marche en avant, l'entrée résolue dans une société de type tertiaire qui contribuera dorénavant le mieux à maîtriser les stades antérieurs de développement. Faut-il pour résoudre le problème des banlieux revenir à la tribu ou au nationalisme comme régime politique. Faut-il pour résoudre les problèmes de l'emploi abandonner toute mondialisation économique, sociale, industrielle et culturelle ? Faut-il pour résoudre les défaillances de la démocratie en rajouter en incantations, formules, procédures, lois et règlements ? Non il faut engager la cité, le territoire dans une dynamique de projet dont le Sens se traduit par des valeurs, un potentiel, une vocation et au bout du compte une ambition humaine partagée. Notons que cette échelle de maturité des sociétés humaines est aussi celle des hommes et des institutions. Elle est celle des conceptions et des pratiques de la politique et de son rôle.

Nous vivons une mutation entre la société des représentations et la société du Sens comme il en existe à d'autres seuils d'évolution. Chaque mutation fait crise, plus ou moins exacerbée, où l'attrait du dépassement se trouve combattu par la crainte de la remise en question, quitte à fuir dans la régression. Ces réactions humaines compliquent l'analyse ce qui permet de dire n'importe quoi sur ce qui se passe. C'est du côté de l'espérance et de l'enthousiasme que se trouve la vérité du devenir. L'angélisme serait de croire que les problèmes n'existent plus, le pessimisme qu'ils sont fatals et l'optimisme qu'il y a de nouvelles façons de les poser et de les résoudre pour aller plus loin.

Il faut donc bien intégrer que la gouvernance est justement ce type de pratique qui convient à une société de type tertiaire. Elle convient à l'élaboration et la conduite des projets territoriaux qui redéterminent un lien social, un pacte de Sens donc de valeurs, de significations, de direction et de méthodes.

Cependant elle ne peut ignorer :
- l'hétérogénéïté des situations et des niveaux de maturation des hommes et des institutions (sans s'y enfermer évidemment),
- que son premier enjeu, c'est de définir et conduire un processus de maturation vers une plus grande maîtrise collective d'un devenir, maîtrise collective qui est la figure nouvelle du bien commun.

 

La gouvernance une pratique démocratique de la conduite des projets territoriaux


Tout d'abord il faut situer trois conceptions classiques des projets territoriaux qui se limitent aux âges d'évolution antérieurs.
- Le projet territorial est par exemple pour certains une opportunité à saisir dans les jeux de puissance et d'intérêt. La "gouvernance" n'y a que peu d'intérêt à moins de servir de "mot de passe utile".
- Le projet territorial est seulement, pour d'autres, un projet d'équipement, c'est l'occasion d'obtenir des crédits permettant de réaliser ou d'améliorer l'existant quant à l'organisation de la vie matérielle collective. La gouvernance utile ne dépasse guère l'inventaire des besoins que des services techniques peuvent réaliser.
- Le projet territorial est un peu plus loin un projet d'aménagement du territoire. Il s'agit de rationaliser le territoire en optimisant les différentes fonctions selon les modèles les idées et les règles du moment et de fixer les cadres d'action des années à venir. C'est la pratique classique, souvent promue par l'Etat et les services spécialisés, à laquelle les collectivités territoriales sont appelées à souscrire contractuellement pour bénéficier des avantages qui en découlent. La gouvernance reste cantonnée alors au débat accessoire ou idéologique. La démocratie formelle est sensée régler les procédures de décisions. C'est bien parce que les hommes et les sociétés commencent à aspirer à un autre temps de responsabilité que ces pratiques apparaissent comme notoirement insuffisantes. Ils commencent à entrevoir qu'il y a des choix de Sens et de devenir en jeu alors que pays et collectivités forment de nouvelles "communautés territoriales" confrontées à un monde en mutation et à une mondialisation riche de menaces et d'opportunités,

Quels sont donc les termes d'un processus de gouvernance pour une société qui entre dans un stade de plus grande maturité?

Trois étapes sont indispensables :
- Celle de l'identification de la communauté sans laquelle il n'y a pas de projection dans l'avenir possible,
- Celle de l'orientation de son devenir sans laquelle il n'y a pas de volonté commune possible donc de projet commun,
- Celui de la mise en mouvement sans laquelle le projet reste une abstraction technocratique qui ne concerne pas vraiment la population et les acteurs locaux.

Il nous faut les examiner maintenant :

La phase d'identification
Un territoire est avant tout le lieu d'existence d'une communauté de Sens. Ce qui fait communauté, c'est le Sens de l'existence commune et du bien commun partagé. Or la première condition pour se projeter dans l'avenir est de s'identifier en tant que communauté de Sens. Pour cela c'est à un patrimoine de valeurs communes, c'est à une culture et aux potentiels humains qui sont cultivés que l'on peut recourir.

L'identification ne doit pas se faire à un "état des lieux" ou à une définition juridico-administrative subalterne mais à un patrimoine de valeurs. Ce patrimoine de valeur est le potentiel culturel "à cultiver" pour progresser dans l'avenir. Il intègre les ressources matérielles dont la valeur dépend seulement de ce qui peut en être fait (contrairement à des visions patrimoniales abstraites qui déshumanisent le patrimoine et donc les pratiques qui s'y rapportent). Il intègre aussi les qualités et qualifications humaines collectives, compétences et talents communs, art de vivre et d'agir ensemble et tous autres caractères liés à l'histoire singulière (ancienne ou récente) de la communauté.

Cette identification sera donc le fruit d'études, d'analyses et notamment d'analyses de cohérences culturelles débouchant sur des représentations des valeurs propres dans lesquelles la communauté peut se reconnaître et par une communication appropriée. La gouvernance passe par un stade de "représentation" où la "représentativité" est l'idée force. Il y faut aussi une représentativité légitime de l'instance qui prend l'initiative. C'est le rôle des élus, privilégiant le meilleur, le potentiel, le patrimoine sur ce qui n'est pas porteur de promesses.

C'est alors aux principes de la démocratie représentative que l'on peut se référer attendant que les représentants représentent "le meilleur" de la communauté par eux mêmes et surtout par les "représentations" qu'ils donnent à elle-même de la communauté. On voit bien l'importance de la communication et les déviances qu'une "mauvaise gouvernance" induirait en flattant notamment tous les ressorts du narcissisme collectif ou des manipulations identitaires. Il est donc indispensable que cela repose sur une analyse en profondeur des richesses patrimoniales d'origine culturelle de la communauté.

L'orientation
la mise en lumière du patrimoine de valeurs culturel propre fait déjà émerger le Sens du bien commun. Il s'agit maintenant de l'éclairer, le repérer et le traduire en termes de vocation, d'ambition et de projet, de le projeter dans le futur.

Pour cela un travail est à faire qui relie le patrimoine aux horizons du futur. Il faut à la fois :
- un travail de discernement du Sens du bien commun,
- la formulation d'une vocation générique,
- un travail de prospective opérationnelle qui croise le patrimoine de richesses potentielles et les horizons du futur dans le contexte de la mutation,
- un travail de créativité générative pour dessiner l'ébauche d'un projet inspiré (par le Sens et les horizons éclairés),
- la constitution d'une force de conviction et de détermination, celle d'un homme et d'une équipe au minimum, en mesure de se poser en force de proposition face à la communauté territoriale.

Ce travail de détermination débouche sur une offre d'orientation susceptible de devenir une ambition commune. La validation de cette position est une "une élection" du sens de l'avenir commun au travers de cette orientation et de cette ambition. Elle lui confère autorité pour l'engagement de la communauté. Nous sommes là dans le contexte d'une "démocratie élective". Il ne s'agit plus "d'élire" une représentation par un effet de miroir (éventuellement complaisant) mais d'assurer une position, un Sens de l'avenir dont on aura à répondre.

L'exercice de la démocratie élective consiste à valider l'ambition auprès de témoins significatifs, pouvant en partager ensuite l'autorité et la conviction pour en être les relais. Il s'agit donc de conforter la détermination de l'autorité initiatrice par la détermination de relais constitué d'acteurs "significatifs" du devenir ébauché. Cette significativité suppose un repérage qui peut se faire par l'écho, la réponse, renvoyée par différents milieux à la proposition faite à la communauté. L'effet de conviction et de détermination est le gage de la validation.


La mise en mouvement
L'idée de projet est trop souvent réduite à celle du plan ou d'un programme dont on aura à assurer la mise en place. Or une communauté en projet c'est non seulement des objectifs de différentes natures fixés, des méthodes de réalisation, un cheminement et un processus de mise en oeuvre mais c'est aussi l'implication d'un grand nombre d'acteurs là où ils sont pour concourir au mouvement d'ensemble.

Un projet territorial est donc une appropriation par la communauté de l'offre qui lui a été faite. Cette appropriation sera progressive, foisonnante, imprévisible et il s'agit pour les responsables politiques dont la proposition a été "élue" de conduire ce processus. Nous sommes là dans une logique de démocratie participative qui vise progressivement le plus grand nombre, acteurs et coauteurs du projet territorial, projection en acte de la communauté dans le futur. La démocratie participative ne peut intervenir qu'à ce stade comme troisième temps d'un processus démocratique et d'une bonne gouvernance.

On n'insistera pas assez sur l'erreur qui consiste à inverser le processus. Elle a surtout pour effet la "mise en échec" de la démocratie, légitimant les volontés hégémoniques et disqualifiant les politiques. Il n'y a de participation ou de démocratie participative qu'une fois que l'identification de la communauté est assurée (représentation commune) sans laquelle c'est rapidement le conflit d'intérêt qui est seul mis en scène. Il faut aussi que l'élection du Sens et de l'ambition soit faite sinon il n'y aura pas d'entendement commun et de concourance des participations générant alors frustration et incompréhension.

La "bonne gouvernance" doit s'appuyer sur une compréhension des phénomènes humains en jeu notamment ceux de maturation collective et de dynamisation constructive du tissu social. Il y faudra des moyens approprié, animations stratégiques, conduite du changement, macropédagogies, stratégies d'évolution et de mutation, etc...

Cette gouvernance et la démocratie participative qui lui correspond n'est véritablement généralisable qu'à partir du moment où les moyens d'Internet permettent de tisser les trames et les instruments de participation et de pilotage ad-hoc.

Une urbanité virtuelle, auto génératrice d'un lien social actif est en même temps le théâtre et le moyen de ce dépassement et de l'émergence de communautés territoriales majeures. Le rôle du politique en est renforcé, la méthode en est changée et l'on voit comment les pratiques habituelles au stade d'évolution et de mutation où nous sommes considèrent trop souvent comme mineures les communautés territoriales et tutélaires les seules pratiques qui vaillent.

a gouvernance est la doctrine et la méthode d'une remise en question radicale celle d'une mutation qui commence à s'accomplir.

 


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