SENS ET COHERENCES HUMAINES
L'HUMANISME METHODOLOGIQUE
©Roger NIFLE

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LA "GUERRE DU SENS" A COMMENCE
Roger Nifle

Le 11 mars 2003

"La guerre du sens" est le titre d'un ouvrage
du général Jean Loup FRANCART
éditions économica

 

Quelle étrange situation où, au nom de la morale - le même mot - des "pays amis" s'opposent quant à savoir si la guerre contre l'Irak doit être déclenchée tout de suite où si elle doit n'être envisagée qu'après l'échec éventuel d'une procédure fondée sur le droit international représenté par les règles du conseil de sécurité. Question de principe, dit-on ici ou là.

Que se passe-t-il? Y-a-t-il les bons et les méchants? Les bons, les brutes et les truands?

On ne peut comprendre la situation que si on en discerne le Sens sinon la "conscience". Elle même sert d'évidence des logiques contradictoires.

La guerre du Sens à l'âge du Sens dans lequel nous sommes entrés n'en est pas évidemment le meilleur.

Ce qui se produit, c'est que des pans entiers du monde (des hommes, de l'homme) sont campés dans différents Sens et lisent le monde dans ce regard, y rencontrent adversaires et alliés (à leurs yeux), y posent les repères du bien et du mal (à leurs yeux), y engagent leurs stratégies cohérentes mobilisant les moyens significatifs de leur logique propre.

Or pour le moins, quatre Sens sont en présence. Ils sont Sens humains toujours en l'homme mais l'âge du Sens en dévoile la pluralité et renvoie chacun au discernement des Sens, au choix et à l'engagement.

Cet âge du Sens succède à un "âge des représentations" (mentales) où idées, formules et formulations (juridiques par exemple) semblaient être les seuls moyens de réguler les affaires humaines, notamment sous la tutelle de la Raison ou bien encore des modèles idéologiques ou systèmes de croyance en vigueur.

Le Sens en échappait le plus souvent et la "conformité" servait alors de seul critère. Alors qu'en est-il des quatre Sens (*).

D'abord le Sens de la possession. L'administration Bush campe sur le Sens de la possession, celui-là même qu'a suractivé un Ben Laden. Un Con-Sensus donc, entre les deux, sur la vision du monde, le manichéisme de l'affrontement des "puissances du bien" et des "puissances du mal".

L'identification religieuse réduite, distordue justement à l'invocation de "toutes puissances" extrêmes, légitime tous les extrémismes.

L'intégrisme est de cette veine (*). La paix est l'horizon de la disparition de l'autre, de son assimilation (le retour au même), de l'établissement pour cela d'une emprise, c'est-à-dire "pouvoir d'empêchement" d'être autre.

La possession, c'est cela, c'est aussi tout ce qui est tentative d'emprise sur les hommes et les choses, critère du bien pour soi, c'est-à-dire du bien universel pour qui n'a pas d'autre. L'unité du monde sous la tutelle de "l'américan way of life". L'emprise sur les alliés, traîtres s'ils y dérogent.

La logique de guerre qui est la seule voie de la paix reconnue dans ce camp, guerre économique, guerre de l'information, guerre des armes, guerre par tous les moyens qui portent atteinte à l'altérité de l'autre, c'est-à-dire au critère du mal.

Le Sens de la possession habite tous les hommes et beaucoup y ont installé leur demeure.

L'administration Bush est parfaitement cohérente dans ce Sens. Sa marche est celle là, son jugement est celui là, sa conscience, ses stratégies, ses modèles, ses méthodes sont celles là.
Bien d'autres y campent et il est clair que là "qui n'est pas avec nous (autre) est contre nous (rival sinon ennemi)".

Qui n'a pas de discernement et qui penche un peu par là est rapidement "possédé" par l'activation massive de ce Sens. Il se fait "même" ou il se fait "autre" (allié ou rival). Qui campe dans un autre Sens est automatiquement considéré comme rival (traître, ennemi à réduire) pour les précédents.

En particulier c'est là que la "vieille Europe" peut être tentée de camper.

Auparavant on notera que toute position de Sens autre que celle de la possession y est vécue comme identique à une rivalité, c'est-à-dire une altérité altérante, polluante, pernicieuse, menaçante, etc... Logique de paranoïa. Le "principe de précaution" est l'une des armes de la guerre du Sens alimentant l'arsenal de la possession. C'est tout simplement la logique de l'administration Bush en Irak notamment.

Les autres Sens ne sont pas pour autant du même camp et on tomberait dans la logique de possession si on voyait le mal incarné par l'administration Bush et le bien chez tous les opposants ou l'inverse.

La vieille Europe donc, celle des lumières, celle de l'âge des représentations d'avant l'âge du Sens, pourrait incarner un autre Sens, l'inverse de la possession celui qui consiste à confier au droit, aux conventions formelles de la communauté internationale le soin de dire le bien et le mal. La puissance est remplacée par le droit, les stratégies guerrières par les jeux de procédures.

Qui ne voit que c'est l'une des façons de comprendre l'alternative posée à celle de l'administration Bush mais aussi à tous ceux qui partagent le même Sens de la possession comme Sadam Hussein et bien d'autres "volontés de puissance" intégristes ou terroristes (y compris économiques).

Pour le camp de la possession ce n'est qu'hypocrisie, impuissance, trahison;

Pour le camp de la Raison, c'est vertu, morale, recours aux principes (formels), au droit sans lequel le monde ne serait que chaos. Loi de droit contre loi de la jungle.

Voilà les deux logiques selon lesquelles, si on n'est pas pris par la possession on pourrait comprendre la situation. On voit bien que la seconde logique a raison de mettre en doute la supposée morale de la possession mais aussi cette dernière n'aurait-elle pas de bonnes raisons de critiquer l'hypocrisie du camp de la Raison?


Il est vrai qu'au temps de l'âge des représentations, cette dernière triomphait et il semblait n'y avoir comme avenir que l'universalité de ses valeurs : démocratie, droit, raison, sciences, idéaux, modèles...

Or toutes ces représentations ne sont pas Sens.

L'âge du Sens dévoile qu'elles peuvent prendre n'importe quel Sens. C'est l'un des jeux d'ailleurs de la guerre du Sens que d'employer les mêmes termes dans des Sens différents. La démocratie selon l'administration Bush ou selon la "vieille Europe" est-elle identique?

Seulement il y a encore d'autres Sens qui sont à l'oeuvre. En rester à deux opposés et il est facile alors de tomber dans la rivalité, victoire de la possession - volonté de puissance - ou bien dans la raison hypocrite qui se pose comme supérieure et volontiers "pédagogique", certaine de savoir où est le bon droit.

Il y a encore en présence un autre Sens, celui de l'antihumanisme radical qui fait des "lois de la nature des choses", l'alpha et l'oméga. De la possession, l'animalisme naturaliste le tenterait bien (défense de l'animal) mais la volonté de puissance parle trop d'une hypothèse "humanité" et donc d'une "pollution" de la vrai nature. S'allier au rationalisme idéaliste, à la raison hypocrite est alors bien tentant pour dénoncer la possession "qui ne signe pas les accords de Kyoto".

Mais lorsqu'il y a de l'anti mondialisation, de l'anti américanisme, de l'anti pouvoir, de l'anti loi hypocrite, c'est-à-dire position de possession alors l'antihumanisme naturaliste s'y laisse facilement embarqué.

D'un autre côté lorsque la Raison se veut plus humaine que naturelle (scientifique), plus exigeante (scientifique) que sentimentale alors c'est le lobby des puissances qui y est dénoncé (ex: appel de Heidelberg, insultes à l'académie des sciences...).

L'anti humanisme radical qui prône la renaturation comme horizon c'est-à-dire la décivilisation massive, utilise aussi bien le principe de précaution (paranoïaque) que la loi de droit qui interdit, au nom de l'évidence, de la science, etc. (la tendance totalitaire).

Que dit ce camp de la situation?

Il prépare la récolte, dénonciation des pollueurs, dénonciation de ceux qui croient en l'humanisme des lumières, recentration sur les peurs des temps préhistoriques, archaïques. Recentrage sur le thème "la planète est en danger à cause de l'homme" préparons nous à d'autres guerres (de l'eau).

Raisonnements irrationnels, manouvres de possession manipulatrices. Là où il n'y a pas de discernement du Sens même négation du Sens humain du monde, tout est bon, sauf l'humain. Obéissons à la Nature, rendons nous à l'évidence. Cessons de croire à notre humanité et la paix viendra...

Enfin le quatrième Sens émergeant, est celui du discernement des Sens - notamment des précédents, parmi tous les Sens de l'homme. Là les mots ne sont pas le Sens mais tentent de le véhiculer. Ce qui vaut ou non, c'est le Sens, c'est-à-dire l'essence de l'homme mais aussi la clé de son accomplissement ou de son échec. La raison sert le Sens mais ne le dit pas aussi, pouvant servir n'importe quel Sens, elle ne peut être critère du bien à elle seule.

Le meilleur des Sens est toujours celui, en chaque situation, par lequel les hommes gagnent en discernement (des Sens) donc en liberté, en autonomie, en maîtrise, en responsabilité...

Alors le bien de l'homme c'est de trouver et cultiver ce Sens là. C'est de former des communautés de Sens pour ce faire s'y plaçant alors dans le Sens du bien commun. C'est de s'engager dans le service du meilleur Sens des autres, personnes et communautés. C'est donc le service de la maîtrise de l'humanité en chacun et en tous.

Ce qui n'est pas bien c'est ce qui s'en détourne ou s'y oppose.

C'est pour cela que les Sens ne se valent pas tous, ont leur propre logique, leur propre cohérence, leur propre modèle, leur propre jugement, leur propre méthode, leurs propres valeurs.

Tous sont aveugles à la possibilité d'autres Sens et sont donc enfermés dans leur logique propre, sauf le Sens ici pointé.

Ce Sens est celui du discernement (des Sens), de l'entendement donc et aussi de l'engagement, de l'autonomie responsable, de la maîtrise de service.

Dans la guerre du Sens, il dispose de "l'arme" la plus performante : le discernement mais cette arme ne tue pas elle vivifie, elle rend libre. Elle ne porte néanmoins que par le conSensus qui sera entraîné par la détermination de ceux qui se tiennent dans le meilleur Sens.

En chaque situation rechercher le meilleur Sens, en chaque homme reconnaître tous les Sens de l'humanité, en chaque communauté rechercher le Sens du bien commun... C'est dans les petites choses, les affaires communes, que se nourrit le meilleur Sens et que se gagne la guerre du Sens. C'est dans les grandes choses que cela se manifeste aux yeux de tous sauf aux aveugles et à ceux qui n'entendent pas le Sens.

Travaillons-y.

Telle est la proposition de l'humanisme méthodologique.

* Textes illustrant ces quatre Sens

L'intégrisme
Civilisation de l'entreprise
Cohérences de la responsabilité
Nouveau paradigme
La loi et l'ordre
Les racines de la certitude



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